Le système de plantation qui avait fait la prospérité de Saint-Domingue, ci-après Haïti, a eu un impact crucial sur le développement de la république d’Haïti. A Saint-Domingue / Haïti, les colons français, à travers leurs investissements, ne visaient qu’à tirer le maximum de profit à court terme, au moyen de monoproductions destinées exclusivement au marché extérieur. Le maximum de profit à court terme impliquait un certain empressement qui n’eut d’autre résultat que « l’exténuation aussi bien de la main-d’œuvre servile que du sol, que l’on exploitait sans nul souci de l’entretien ni de l’un ni de l’autre… ». De ce point de vue, « enrichissement des colons et appauvrissement de son territoire sont synonymes, ou en tous cas concomitants ».
Le système de plantations demandait de solides investissements incluant la technologie disponible de l’époque. Ces éléments essentiels pour la prospérité de la colonie se retrouvaient principalement à l’intérieur de la plantation, un monde clos. A l’extérieur de ces exploitations, l’aspect général de Saint-Domingue / Haïti était plutôt maintenu à l’état rudimentaire, allusion faite à un no man’s land.
A cause de ce genre d’exploitation destiné à l’exportation, les chemins tracés, en guise de routes, ne représentaient qu’une espèce de “cordon ombilical” qui les reliait à l’installation portuaire la plus proche, canalisant ainsi les extrants aussi bien que les intrants. Les agglomérations urbaines, en ce sens, servaient de comptoirs. A cet égard, le système colonial français semblait ne pas s’intéresser aux infrastructures adéquates pour un développement durable.
Citons, à titre d’exemple, le projet d’irrigation de la plaine de l’Artibonite, qui faisait couler beaucoup de salive et d’encre depuis le XVIIIe siècle (1744) ; pourtant, rien ne fut entrepris. Moreau de Saint-Méry avait longuement élaboré sur ce sujet pendant l’époque coloniale. Cet exemple, par ailleurs, démontrait l’impossibilité pour les autorités compétentes de financer par l’impôt ou les fonds publics les ouvrages nécessaires et indispensables à toute structure développementale. Le blocage de ce projet avait été avant tout « sociologique, et pas technologique » ; pour cette raison, les Français ne l’avaient même pas entamé quand ils laissèrent Saint-Domingue. Ce projet d’irrigation ne verra le jour en Haïti que dans les années 1950 – 1960.
Au niveau écologique, la dégradation des terres s’accentuait et sa détérioration était mise en évidence. Les mornes avaient été archaïquement défrichés au profit de l’industrie caféière, et les plaines, au profit de l’industrie sucrière. Les terres étaient épuisées, bouleversées, victimes d’érosion; aucune mesure de préservation des sols n’avait été conçue et appliquée tant par les secteurs privés que publics, pas de fumures, pas de restitution de matière organique, pas d’assolements, la charrue était pratiquement inexistante, etc. Le système de plantation, qui fit la prospérité de la France, tel pratiqué gloutonnement et sans soins adéquats par la colonisation française à Saint-Domingue, ci-après Haïti, reste encore préjudiciable à la nation dite à vocation agricole.
André-Marcel d’Ans, dans Haïti – Paysage et Société, Éd. Karthala, Paris, 1987 – se référant aux observations et témoignages de Justin Girod de Chantrans, vers 1782, un Suisse qui était à Saint-Domingue, ci-après Haïti, et qui déjà se demandait : « Mais comment oser parler de “ prospérité ”, alors que tout en réalité était pillage ? »
D’Ans dénonçait encore la dévastation tacite d’Haïti, corollaire de sa fameuse prospérité, il met aussi en garde contre « “ l’illusion de l’optique historique ” qui attribue la désolation actuelle du milieu haïtien à la seule incurie, à l’incompétence et à la gabegie qui régneront dans la nation haïtienne devenue indépendante… »
*** Référence : Jean Ledan fils – A propos de l’histoire d’Haïti, saviez vous que… Volume VI, illustré, ISBN 976-95017-04, Bèljwèt, PAP, 2001.
Disponible dans le Coffret des 10 volumes de la série A propos… et sur www.amazon.com/author/jeanledanfils & www.amazon.com/dp/B09BJFFR
